Comment Shlomo Sand a réinventé le peuple juif

Pierre Assouline

Il y a comme ça des livres sulfureux qui se fraient un chemin vers la notoriété sans crier gare. Une fois qu’ils trônent, on a beau jeu de s’en remettre aux voies impénétrables du bouche à oreille. Ne reste plus alors qu’à en déplorer les dégâts ou à en louer les bienfaits, c’est selon. Pour Comment le peuple juif fut inventé de Shlomo Sand, né en 1946, historien des idées politiques à l’université de Tel-Aviv, dont la thèse centrale est ici résumée ici par ses soins, ça s’est passé ainsi.

Paru le 3 septembre 2008 chez Fayard, il se présentait sous une couverture noire, typographique arborant un immense point d’interrogation en surimpression. Il nous était parvenu précédé par la rumeur des débats orageux lors de sa publication en 2008 en Israël : un vrai succès de librairie (9000 exemplaires, 19 semaines de présence sur la liste des meilleures ventes, 11 émissions de télévision). Le titre de la critique de Haaretz était déjà un signe : « Inventing an invention ». On s’y étonnait de ce que Sand ait “découvert” que, tout au long de leur histoire, les Juifs, comme tous les peuples, se soient trouvés des mythes unificateurs. Depuis son livre a suscité une “affaire Sand” là où il a été publié, avec controverses à l’appui. Pour l’avoir suivie attentivement depuis deux ans, on se dit que seul le peuple juif, avec son goût du pilpoul à l’infini dans sa version laïque, pouvait sécréter en son sein un Shlomo Sand susceptible de le mettre en cause dans ses fondements mêmes, jusqu’à réinventer son histoire à sa manière.

En France, la presse quotidienne n’y prêta guère attention, malgré le micro que lui tendit dès sa parution Daniel Mermet sur France-Inter. Il fallut attendre le début de l’année 2009 pour voir l’auteur opposé à un intellectuel, Jacques Attali, lors d’un long face à face organisé par L’Express et Books l’interviewer. Trois mois après, l’universitaire Eric Marty s’en prenait vivement aux « mauvaises raisons d’un succès de librairie » dans une « Opinion » publié par Le Monde à laquelle Sand répondit. Son livre venait juste d’être couronné du Prix Aujourd’hui, attribué par un jury d’éditorialistes auprès duquel l’historien Jacques Julliard avait plaidé sa cause (8 voix pour, 3 voix contre). Cette distinction ne fut pas étrangère à son décollage dans l’opinion (elle trouva écho jusqu’en Israël). Dès lors, les revues prirent le relais, donnant la parole aux collègues de l’auteur. L’Histoire en fit sa couverture en juin en le plaçant face aux historiens Michel Winock, Esther Benbassa et Maurice Sartre ; puis à la rentrée, Claude Klein décortiqua « L’invention de Shlomo Sand » dans les pages des Temps modernes, peu avant que Mireille Hadas-Lebel n’en fasse autant dans Commentaire, où elle déplorait que l’affaire fit « beaucoup de bruit pour peu de chose », et que Le Débat lui consacre un important dossier dans sa toute récente livraison.

C’est donc dans ce contexte intellectuel que le livre reparaît ces jours-ci en format de poche (traduit de l’hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk, 600 pages, 12 euros, Champs/ Flammarion) après avoir été vendu à 40 500 exemplaires dans son édition originale- ce qui est beaucoup pour un essai historique et néanmoins « militant » qui s’avance sous un titre « brutal », comme le reconnaît Mil neuf cent, la revue que Shlomo Sand fonda avec son ami Jacques Julliard sous le titre Cahiers Georges Sorel. Face à l’avalanche de critiques suscitée par son entreprise de démolition, des articles qui pointent ses erreurs et approximations, dénoncent sa manière de caricaturer les thèses adverses et ses généralisations polémiques, ou invalident ses interprétations hasardeuses, lui reprochent de nier toute réalité de l’exil juif et d’affirmer dans le même élan que les Juifs d’aujourd’hui sont issus pour la plupart des grands mouvements de conversion du temps où le judaïsme était prosélyte (il réactive la thèse Khazar chère au Arthur Koestler de La Treizième tribu en espérant lui donner une nouvelle jeunesse), Shlomo Sand ne cille pas.

Les critiques les plus dures, fussent-elles parfois argumentées par des spécialistes des périodes qu’il évoque, ne l’ébranlent pas. Il n’a rien modifié de son texte. A peine deux ou trois bricoles (la nationalité d’un linguiste de langue allemande, la tribu de Tariq ibn Ziyad). Peu lui chaut qu’on le traite de « négationniste » puisqu’il nie effectivement l’existence d’une continuité historique du peuple juif. Provocateur aussi. « J’appelle cela : réveiller les consciences ». Il prend acte que son livre a reçu un large écho dans la presse arabe au risque de l’instrumentaliser, phénomène qu’il assure avoir anticipé : « Mais cela ne m’a pas empêché de m’opposer aussi bien à la loi du retour des Juifs qu’au droit au retour des Palestiniens lors de mes conférences à Rabat et Casablanca ». Quel que soit le lieu, cet ancien militant d’extrême-gauche expose de la même manière sa solution pour la paix : deux Etats coexistant au sein d’une confédération.

Des contrats ont été signés pour la traduction de son livre en seize langues. Sur le rabat de la jaquette de l’édition russe, il a rajouté que des soldats de l’Armée rouge avaient libéré Auschwitz. La couverture de l’édition américaine affirme en titre The invention of the Jewish people, supprimant au passage, contre la volonté de l’auteur, une formulation plus nuancée. Pour l’édition palestinienne chez Madar à Ramallah, conclue pour une somme symbolique grâce à l’intercession de feu le poète Mahmoud Darwish, il a confié la traduction à ses étudiants arabes. Mais il a refusé de supprimer ou même de réduire son premier chapitre sur la fabrique des nations, comme le lui demandaient ses éditeurs allemand et japonais : « Cela aurait donné l’impression que seuls les Juifs ont créé des mythes pour s’inventer un peuple ». Désormais il enchaîne conférence sur conférence. Son succès lui a fait perdre des amis à l’université (« la jalousie, inévitable »), compensé par d’« émouvantes » lettres de lecteurs, telle celle-ci d’un vieux médecin américain :

« J’ai réalisé que je me sentais libéré, libre, parce que je suis le descendant de hordes d’ancêtres anonymes et j’étais simplement comme tout le monde….et non plus différent, spécial, porteur d’une mission et chauvin. C’est l’inestimable présent dont vous m’avez gratifié, en m’intégrant dans la société générale de l’humanité, en n’ayant plus besoin, désormais, de défenses réparatrices de mon héritage. Je vous remercie pour ce cadeau à l’occasion de mon 85ème anniversaire, et je ne puis qu’espérer que beaucoup de mes frères recevront la même récompense. Entre parenthèses, je pense que la plupart de mes analysants juifs, sinon tous, souffrent de cette camisole identitaire imposée par les rabbins. »

Toutes les lettres ne sont pas de cette encre. Il y en a pour le renvoyer à ses chères études, ou pour l’inviter à davantage de rigueur dans ses recherches. Et aussi les menaces de mort : « Je me sens plus en sécurité en Israël où on ne touche pas à un soldat qui a fait deux guerres, qu’à Paris où les Juifs sont plus excités ». Encore n’a-t-il pas lu l’explication de son livre par le psychanalyste Daniel Sibony : Sand n’a de cesse de tuer le père car le sien l’a baptisé “Shlomo”, c’est à dire Salomon, roi qui fut l’un des ancrages du peuple juif… Son livre l’écrase et le propulse. Il a refusé une chaire aux USA mais en accepterait bien une en France. Dans le Sud, uniquement. Mais lorsqu’on lui demande s’il réalise les dégâts provoqués par son essai lorsqu’il dénonce « l’arrogance de peuple élu de la société judéo-israélienne », un paragraphe qui ferait scandale s’il était paru sous la plume d’un non-juif (remember De Gaulle…), il convient qu’il pourrait retirer ce passage qui résonnait moins dangereusement en hébreu qu’en français. Ce regret figurera dans le récit sur la réception de son livre qu’il pourrait écrire suite à la commande d’un éditeur français. Ou dans le roman policier dont il a déjà l’intrigue : un meurtre dans le milieu des historiens à l’université de Tel Aviv. Inspiré d’une histoire vraie. Aussi vraie que l’histoire mythique du peuple juif.

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Source: http://passouline.blog.lemonde.fr/2010/02/23/comment-le-peuple-juif-a-invente-shlomo-sand/ Photo: http://static.guim.co.uk/sys-images/Observer/Pix/pictures/2010/1/13/1263392624547/shlomo-sands-001.jpg

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